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Afficher la version complète : Pour J-F (et pour mon Nounours)



Deufydac
07/12/2004, 00h17
Nous sommes le 4 décembre 1996 (eh oui, ça nous rajeunit pas).

(Mais dans le calendrier Deufydac, nous sommes en l’an I avant que BAMAS M’A TUER !) :cri:

Ayant ressorti mon carnet, vu que ma mémoire me fait défaut et que je ne suis pas atteint par la sénilité au point de ne pas m’en rendre compte, je peux vous décrire la situation générale. Le vent est Est-Nord-Est depuis minuit, se renforçant : un anticyclone s’est formé sur la Baltique depuis quelques jours et s’étend progressivement vers l’ouest. Une zone dépressionnaire colonise la façade atlantique de Ouest Bretagne à Nord Ecosse, et la veille, un front occlus a provoqué bruines et brouillards sur nos régions. Mais le froid descend. En quelques heures, on passe de 8° à 3-4°. Aujourd’hui, un 1040 est centré sur l’Est de la Scandinavie, et une dépression se comble sur le centre de la France. Que demander de plus !

A cette époque, je suis encore une sorte de « king of the bay », car je suis parfaitement intégré et j’entretiens d’excellentes relations avec une grande majorité des membres de notre association : gabionneurs et chasseurs à la botte. J’y suis tellement régulièrement dans cette belle baie, que je fais en quelque sorte partie du paysage.En l’occurrence, j’y suis depuis le jeudi 30, et tous ces jours derniers, j’ai vu et prélevé quelques canards.
La nuit du 2 au 3, j’ai gabionné chez MESTRE (eh oui !), avec Olivier et son beau-frère. C’était sympa, mais à part 2 ou 3 coups dans la nuit, la baie était plutôt calme. A la passée du soir, j’avais quand même réussi à tuer un vignon, et au matin, quelques petits groupes de souchets, sarcelles, et pilets volaient sur l’herbu. De quoi tirer quelques cartouches. L’après-midi, j’ai même vu rentrer une dizaine d’oies cendrées, ce qui est plutôt rare ici (à l’époque) et le soir, une belle bande de 30 à 40 sarcelles est venu miroiter sur les mares de POITEVIN et LARUE. C’est un bon présage, et je vais bien dormir dans mon duvet...

Après une nuit de récupération dans « ma » grange préférée, je suis d’attaque en ce lundi matin, et j’y crois, vu le temps.
Mon pote « Nounours » (seuls les amis le reconnaîtront) me rejoint de bonne heure. Café à l’étage, discussion rapide, on descend l’échelle et nous voilà parti...

La mer sera haute à 8H00, hauteur : 7.05m. C’est parfait pour nous. Je décide d’aller devant chez PITOU, sachant que le gabion n’est pas piqué...

En route !
On pique. La mer arrive. La passée approche. C’est étrangement calme. Les gabions ne tirent pas. On s’interroge ? ? ?

Mais dès que le jour tend à poindre, ça s’anime un peu (c’est souvent comme ça là-bas !) : quelques coups de gabions nous mettent en éveil (façon de parler, car en éveil, on l’est toujours à cette heure là). Lorsque la nuit commence à s’estomper, nous sommes pleinement opérationnels. Les formes sont à l’eau et les appelants chantent piano. A genoux derrière mon grand filet, nous scrutons l’obscurité mourante dans l’espoir de voir surgir quelques flèches noires sur gris.

Soudain, une belle bande de sarcelles nous surprend en passant dans notre dos. Le tir est acrobatique mais la réussite nous sourit puisque nous en prélevons 3.
On se réchauffe le cœur de cette belle issue, et on se prend à rêver d’un beau mouvement au jour.

On ne va pas être déçu et on s’en rend vite compte car maintenant que le jour vient, on voit voler des bandes de sarcelles, et des souchets, et des pilets. Tous en paquets !
Malheureusement, le coefficient de marée est un peu trop faible et nous sommes piqués entre des touffes de spartines que la mer ne couvre pas totalement. Notre pique en est moins efficace car elle se voit moins. Et tous ces beaux canards sont en bandes et méfiants... Les occasions sont rares.

Un souchet se laisse prendre quand même. Puis un pilet. C’est peu au regard de tout ce qui passe : car c’est parti ! ça déboule ! De tout : tadornes, bernaches, et canards de toutes les espèces. Et des barges, des pluviers, des courlis... ça vole !

Vers 9 H 00, nous voyons même un groupe de 5 oies cendrées qui rentre dans la baie, contourne la pointe de l’herbu et remonte au vent entre JARDIN et RADOULT. Elles entament l’herbu à 35/40 m, au moment où un gars de chez BOURGEON rentre au parking. Il les a sur la tête, tire, en tombe une. Le veinard !
Les 4 repartent en mer et se posent à 500 m, au Nord-Est de la pointe.
On se prend à espérer comme des fous : si elles redécollent et suivent la bordure de l’herbu de ce côté, on a une chance.
Masqués par le filet, on en parle et on se prépare. Je sors mon appeau (à Canada) directement importé des USA, et je fouille dans mon sac pour préparer les grosses cartouches. On ne sait jamais.
Mon Nounours est désarmé. Il n’a pas une cartouche de plomb supérieur au 4. Alors que j’ai quelques Fédéral 57 gr. en n°2.
- Qu’importe ! Je t’en passe...
- Ben Non ! mon fusil est chambré 70.
Je fouille encore dans mon sac et parvient à trouver un coup de n°2 en 70/40 gr. Nickelé, que je lui donne.
On ne sait jamais.
Dans l’entrefaite, on a le droit de rêver, car les 4 cendrées se sont laissées portées par la vent et rapprochées de l’herbu. Elles ne sont plus qu’à 300 m.
On décide de charger les fusils en conséquence : je rentre 4 fédéral dans mon RAPID (eh oui, je l’avais encore au bout de 22 ans) et Nounours met le 2 suivi d’un 6 et d’un 4 dans son automatique.
Puis je porte mon appeau à la bouche, et commence à « Pouic Pouicquer » du mieux que je crois savoir.
On est recroquevillé derrière le filet et on observe à travers les mailles.
Elles semblent toujours se rapprocher.
Pourvu que ça ne tire pas ici où là...

Des bandes de canards volent en mer, mais – c’est une chance – n’approchent pas de l’herbu.
Je « Pouic-Pouic » sans prendre le temps de souffler... (ben si, faut pas déconner ! Je me prends pas pour une bande de 50 oies !)
Et elles approchent toujours.
Mais que c’est long...

Elles nagent peinardes, cous tendus, semblant intriguées par mes appels (ou du moins ce que j’entends être des appels, sans aucune certitude).
A 150 m, l’adrénaline commence à nous imprégner.
Sommes-nous si fou de rêver ?
Je Pouic-Pouic !

A 100 m elle nage d’une palme tranquille mais décidée dans notre direction.
On commence à bouillir...
Elles sont maintenant à 30 m des premières touffes de spartines, à environ 80 m de nous.
On oublie les crampes et je Pouic-Pouic avec encore plus de conviction.
Elles hésitent à approcher de l’herbu, et la marée descendante nous dessert car les spartine émergent de plus en plus.
Nos formes et appelants sont toujours à l’eau, mais de quel effet peuvent être des formes de canards et des canes colvert sur des oies.

Je Pouic-Pouic quand même.
Dans les pauses, je parle à Nounours :
– Si elles décollent maintenant, ça peut le faire, si elles viennent au Pouic-Pouic en partant.
Nounours est un émotif et je sens qu’il ne va pas tarder à décoller malgré le quintal de muscles qui l’enveloppe.
Elles sont à 70 m.
Pause de Pouic-Pouic :
– Si on y va, tu prends à gauche et moi à droite.
– OK !
Elles sont à 60 m.
Je POUIC-POUIC piano.
Elles observent.
Elles nagent en longeant les spartines, approchant des formes.
A travers le filet, difficile d’apprécier les distances, mais habitué du poste je sais qu’elles ne sont plus qu’à 55 m... à environ 20 m à gauche des formes.
Abuser du Pouic-Pouic ne serait plus crédible, mais je persiste, un ton plus bas, jouant de mon inspiration pour sortir des trémolos langoureux.

Elles sont à 50 m, en file indienne, nerveuses, à 10 m des formes.
Je réalise que c’est déjà trop ! Qu’elle ne viendront pas plus près. C’est impossible.
Je dis à Nounours de se tenir prêt :
– Dès qu’il y en a 2 à coup, on y va.
Peu de temps après (façon de parler ! ! !), les 2 de droite se mettent à coup.
– ON Y VA !
Nos 2 premiers coups partent avant qu’elles ne réalisent.
Mais horreur ! tout le monde décolle.

J’en prend une. Elle tombe ! (ouaih !)
Nounours en tire une autre, qui galipette et ricoche sur l’eau... puis se reprend.
J’en tire une 3ème ... qui ne tombe pas.
Nounours remet un coup à celle qu’il a blessé. Mais elle parvient à filer au ras de l’eau, à grand peine.
Je mets mon dernier coup sur « la mienne »... Elle tombe désailée.

Panique ! On remet des cartouches. La 4ème fait un tour et revient. Passe à 60 m. Je lui envoie un coup de 4. Mais elle nous échappe.
Je fonce à l’eau en rechargeant mon fusil. Je parviens sans trop de peine à achever ma 2ème, l’autre est morte.
Je reviens au bord avec mon oie, tandis que Nounours a récupéré ma première...
Et soudain je réalise.
Mon Nounours est dépité. Sa blessée est invisible sur l’eau, aussi loin qu’on puisse voir.
– Merde ! Je l’ai eu ! Elle a chuté au 2ème coup. Puis elle est repartie aussitôt et je n’avais plus que mon coup de 6 à lui envoyer. C’est pas vrai !
– Je suis navré ! J’ai vu. Elle a splashé puis est repartie...
C’est vrai que ça me gâte mon plaisir. Il manque quelque chose de primordial.
Je suis content et je ne boude pas mon bonheur. Mais il manque l’essentiel.
Nounours n’a pas sa première oie, et pire, il l’a perd.
Quel dommage !
Qu’elle est dure cette chasse... Il ne tient qu’à rien d’en être comblé, mais elle sait si bien nous tendre de ces petits pièges qui vous glisse un brin d’amertume et de désillusion au moment d’exploser de joie.
...
Nous avons encore tué un milouin ensuite, avant que la mer ne quitte l’herbu et nous ôte toute chance de réussite.
De temps en temps, nous entendions une oie rappeler au loin vers le large, comme pour remuer le couteau dans la plaie.
Une fois le mer retirée, nous avons dépiqué. Les bandes de canards n’en finissaient plus d’arriver dans le baie mais restaient inaccessibles, en mer, inabordables.
Nous avons pensé aller faire un grand tour sur les sables dans l’espoir de retrouver l’oie de Nounours. Mais fatigués, et vaincus par la désillusion, nous y avons finalement renoncé.

Aujourd’hui je suis convaincu que ce fut une erreur et une faiblesse. Et si c’était à refaire, j’irai sur les sables en quête de la première oie de mon Nounours.
Parce qu’il nous a manqué la cerise sur le gâteau, et parce qu’il faut savoir forcer l’espoir jusqu’au delà de ses derniers retranchements...
Et surtout, parce qu’on se doit d’agir ainsi, au nom de l’éthique, et même si nos illusions nous abandonnent sous les coups de boutoir du sort.
Je regrette de n’avoir pas été assez fou pour tenter cet impossible qu’on a parfois dépassé sans le savoir.
La fameuse « conelle » de Guéna porte un message que le vent marin m’a parfois susurré aux oreilles : dans le doute, fais le ! Et réfléchis après. On n’abandonne la recherche d’un gibier blessé que lorsqu’on a absolument tout tenté pour le retrouver.

antoine.D
07/12/2004, 00h36
le pouic-pouic trémolos langoureux :) :)) :)

belle histoire deuffy !! et effectivement faut tenter !

J-F
07/12/2004, 09h26
Ah ces zonzons! :)

Effectivement Deuffy, surtout si c'etait sa "premiere" (en fait non au final :T !

Ca marche pas a tous les coups, mais si on y crois vraiment et qu'on "s'arrache", parfois ca aide au "miracle", a "l'impossible".

Au final, la lesson fut enregistree puisque si c'etait a refaire, vous retourneriez les sables de fond en comble des fois qu'elle se soit enteree comme une autruche: pour la premiere de Nounours, et puis pour pas laisser perdre un gibier blesse, ce qui est bien pire qu'un gibier formidablement enfume a 20 metres (ca on en rigole :))

Au fait, Nounours il l'a faite sa premiere depuis?
J'espere que oui.

Belle histoire de zonzons encore une fois :D

A+
J-F

Deufydac
07/12/2004, 09h46
Je ne crois pas que notre Nounours ait fait son oie depuis.
Il fait partie de ceux qui ont dégagé de la baie après que j'en fût viré, parce rien n'était plus comme avant et la pression des gabionneurs a rebuté tous les chasseurs paisibles qui aimait à pratiquer notre mode de chasse : à "poste fixe" et en bordure d'herbu à marée haute. :T

Excuse-moi de dévier un peu du sujet,mais en ce moment je retombe en plein dedans pour des raisons de procédure...
Il faut savoir qu'en virant Deufydac de la baie, ils ont réussi à écarter tous ceux qui pratiquaient comme nous.
Le principe étant toujours le même : on fait un exemple. On cogne dur! Puis on met la pression sur les restants... qui prennent peur et courbent l'échine ou abandonnent.
Ainsi va la struggle for life dans le meilleur des mondes sauvaginiers...

C'est aussi pour ça que je t'envie. Tu as la chance de jouir d'une liberté responsable que tu peux assumer en toute sérénité.
Profites-en bien mon gars. Et ne reviens pas chasser en FRANCE avant que d'avoir fait fortune! ;) :))

*RM*Guéna
07/12/2004, 14h11
Jolie histoire ;) , sur les oies c'est toujours extrême de toutes façons, sauf bien sûr pour certains blasés qu'il vaut mieux plaindre car ne plus trembler devant ces oiseaux là, et bien c'est la fin de tout...Y'a jamais rien de gagné avec elles, la preuve avec celle de Nounours, que je ne connais pas bien sûr, mais je comprends ce qu'il a dû ressentir, pour l'oie et pour...le reste.
Blesser et perdre c'est dur déjà au Marais, mais en mer c'est encore pire car vu le danger et bien c'est pas toujours ne serait ce que possible d'aller rechercher, surtout à l'eau...Une cendrée blessée ça fait des plongées de 70 m, j'en ai une dans le parc comme ça, désailée et récupérée, j'ai mis 20 mn à l'attrapper en bateau avec 3 copains, sans chien mais avec une plate à moteur...Ca fait partie des risques, même si tu as raison de le préciser ;) :

"On n’abandonne la recherche d’un gibier blessé que lorsqu’on a absolument tout tenté pour le retrouver"

Ca c'est la devise des conducteurs des chiens de sang, et on devrait tous avoir ça de gravé soit sur la crosse de notre fusil, soit encore mieux, dans le ciboulot... :))

Malheureusement c'est encore pas ça partout.

Bravo pour le pouicage, comme quoi les expatriés rosbeefs comme "Johnnie Fitzgeraldingodézonzon" n'ont rien inventé :)) ...Par contre t'aurait mi le slip sur la tête "Technique Mas", peut être auraient elles viendues plus près... :fou: :fou:

Thibaut17
07/12/2004, 15h13
A quand la meme chose sur l'estuaire de la gironde. Super histoire Deuffy! Puree ces zonzons ca m'empeche de dormir mais mon tour viendra faut pas que je desespere.

Trist10
07/12/2004, 15h41
superbe histoire deufy, on a vraiment l'impression d'y être en te lisant; chapeau bas et triste pour "nounours", mais y'en aura surement d'autre....... ;)

MAS
10/09/2005, 18h16
yes belle histoire comme d'hab' Deuf' !

mnm
10/09/2005, 20h56
C'est marrant de voir remonter l'histoire 6 mois plus tard. :fou:
Ouai belle histoire !
Dommage que ce soit au passé, et même un peu loin.
Mon Nounours il a décroché de la chasse en baie, sans y avoir jamais tué d'oie.

Moi je suis toujours là.
Mais je sens bien que ce n'est plus pareil.
Allez, dès que possible je vous en remet un belle.
Promis.
Un au passé.
Ou une au présent. ;)

MAS
10/09/2005, 21h01
merci d'avance Deuf '
amicalement MAS :D