Le Rêve du Sauvaginier.
ou
Dis moi quel est ton rêve et je te dirais qui tu es…
Un jour de fête de la chasse dans le Cotentin, un peintre présentait une toile intitulée
« Le Rêve du sauvaginier. » L’oeuvre était simple et pourtant le peintre y avait tout saisit. Cette toile représentait un horizon lointain, un ciel mouvementé, un immense marais avec ici et là les larges tâches grises des flaques d’eau nées des dernières pluies, quelques canards dans le ciel et au premier plan la butte verte fonçée d’une hutte…
Le rêve du sauvaginier n’est pas un carnier bien rempli, ce rêve c’est ce mélange de grands espaces, de vols de canards et la lueur faible d’une bougie qui éclaire l’intérieur d’une hutte.
C’est ainsi que des générations de chasseurs se sont succédées sur ces terres ingrates pour le commun des mortels, portées par ce rêve obsessionnel, cet attrait invincible, bien loin du monde certes, mais là où il semble qu’ils appartiennent.
C’est en vivant ce rêve que l’on peut vraiment comprendre qui sont ces hommes qui passent des nuits entières dans ces lieux où l’eau se mêle à la terre et où les rigueurs de l’hiver se font plus fortes qu’ailleurs.
Lorsqu’il est à la hutte le sauvaginier patiente, il fait silence ; il attend c’est le principe même de la chasse qu’il pratique. Il ne force pas la main à la nature, il ne prend rien que ce qu’elle lui donne. Deux ou trois canards à l’issue d’une nuit, c’est un signe que la nature lui a été généreuse, quelques canards de plus, et c’est un excès de bonté de la nature, pas un dû ou une revanche sur le sort qui l’a fait revenir si souvent les mains vides.
Dans ces moments d’exception où le gibier abonde le huttier voudrait parfois retenir le temps qui passe, et s’agripper d’une main ferme aux heures et aux minutes qui s’égrènent pour faire que ces minutes soient des heures et que ces heures durent des jours. Mais le sauvaginier sait que pour sa passion reste sincère et désintéressée, il faut ces moments de solitude intense qui le laisse seul dans le marais dans le froid et l’humidité avec cette quasi certitude qu’il ne verra rien. Il apprend de ces échecs, de ces attentes en vain qu’il y a bien d’autres choses encore que des poses de canards qui peuvent satisfaire sa passion, et que le simple chant des canes, la pose d’un grèbe ou encore les bruissements du vent d’ouest sur les guichets lui sont aussi des raisons de s’émerveiller.
Le sauvaginier est en effet à bonne école pour apprendre à observer la nature dans ses moindres détails, il est aussi à bonne école pour apprendre à l’aimer comme elle est, généreuse parfois mais si souvent indifférente à ses désirs de chasseur.
Et puis, il sait qu’au moins il aura pris cette pose vitale dans sa vie, cette courte parenthèse en dehors du monde, le temps d’une nuit dans le silence qui apaise.
Amis chasseur, c’est bien là notre souhait sans cesse renouvelé, de vivre ce rêve chaque fois que l’on pose le pied sur ces étendues sauvages qui sont nos hôtes d’un soir, d’une nuit. Admirer pendant quelques heures ce que le monde oublie, ignore…ces marais blanchis par les pluies d’automne, ces vols de canards qui traversent ces contrées immenses, et le chant des canes oui…le chant des canes qui se mêle au vent du nord…