Gab34
06/03/2004, 00h58
La chasse du gibier d'eau est pour moi une passion.
Et comme toutes les passions elle comporte son lot d'excès et de folies...
J'en veux pour preuve l'histoire suivante...qui en dira long, je crois, sur l'excès qui m'anime parfois quand de gibiers d’eau il s’agit.
A l'époque je vivais à 3 heures de routes de mon lieu de chasse favori : le grand étang de l'OR.
Aussi chasser le gibier d'eau en ces lieux lointains nécessitaient une logistique et une organisation méthodique, implacable, et fastidieuse.
Nous étions au mois d'octobre, le 17 sans doute, en l'an 2000.
La semaine avait été rude, la fatigue sournoise était là, mais le vent aussi...
Peu importe, le programme était établi comme il se doit :
Samedi matin : RDV 4 heures avec un collègue pour faire l'aube dans un excellent marais riverain de l'étang de l'OR.
Nuit de samedi à Dimanche : Etang de l'OR avec l'Oncle ; destination inconnue (sur l'étang de l'Or l'emplacement des postes est matérialisé par un piquet ; l'entrée sur l'étang se fait à une heure fixée ; les postes sont attribués par tirage au sort ou au premier arrivé ; chacun emmène son gabion et repart avec avant l'heure de sortie de l'étang fixée par le règlement.)
Mais revenons au vendredi soir….
Mince il est déjà minuit, plus qu'une heure avant le départ...impossible de fermer l'oeil...12h30 allez je n'y tiens plus je pars...je serais en avance...C'est sans compter sur le brouillard épais qui noie en une masse informe les paysages sublimes du piémont du massif central.
Je suis juste à l'heure pour l'entrée sur le marais (là aussi l'entrée se fait à une heure fixée, et les postes sont répartis dans l'ordre d'arrivée aux cabanes de chasse.
Nous héritons du poste le plus éloigné...le poste à Robert de la grande Verne : il faut traverser tout le marais, soit un bon kilomètre, les bateaux chargés des affaires de chasses (fusils, musettes, déjeuners,Etc..), des appelants, des plombs pour les appelants, des "cimbels" (blettes pour les nordistes ; une bonne 20ne), des paillons (panneaux de roseaux destinés à construire le poste), des piquets pour les paillons, et ce en se poussant sur une longue perche appelée localement "partegue".
Après 20 minutes d'efforts, nous voilà rendu enfin au poste.
Le collègue installe les canes et les "cimbels" ; je construis « l’agachon » (la cache)...
10 minutes après tout est prêt, la chasse peut commencer...l'attente aussi...et nos espoirs ne sont pas déçus.
Ce sont d'abord 5 sarcelles qui goûtent au plaisir et à la quiétude de notre calée, 2 sont prélevées.
Puis un siffleur et une foulque...mais il est déjà 10 heures...un dernier 1/4 d'heures d'espoirs et il est temps de rentrer. L'opération inverse s'amorce : on remballe, on range, on traverse le marais, on charge la voiture...11h30.
11h45 J'arrive chez mon oncle ; un petit café ; le temps de discuter de l'aube du matin, et il est déjà l’heure de se préparer à partir : préparer le gabion, y ranger les affaires de chasse, charger le gabion sur la remorque, charger les bateaux sur la même remorque, préparer les piquets, les filets de camouflages, les "cimbels", les plombs pour les canes...choisir les canes pour la nuit.
Une véritable expédition se prépare...et rien n’est laissé au hasard
13h00 il est grand temps de partir mais la grande question celle qui nous brûle les lèvres n'a toujours pas été tranchée : Où va t on ? Ou, plutôt, où va t-on essayé d'aller (l'étang est grand 3500 ha et les possibilités ne manquent pas même si les très bons postes sont très localisés).
Mon oncle opterait pour un coin tranquille, les vents sont nord...moi je n'en démord pas : il faut aller à "temple" ou "caisse de mort" à longue pointe le meilleur poste du secteur particulièrement convoité.
Un très très bon poste mais très éloigné, vraiment très éloigné, et sur l'étang seule la "partègue" est autorisée (moteur interdit), et par grand vent il y a de jolies vagues contre lesquelles il faut lutter pour avancer, pour traverser, pour se rendre aux endroits les plus propices.
L'oncle n'est pas chaud, le coups est incertain ; il faudra faire la course.
A coeur vaillant rien d'impossible.
Voici mon plan de bataille :
Je prendrais le canal (soit bien 3km), contournerait ainsi les marais et sortirait à la pointe de pyramide. De là je traverserais une partie de l'étang (presque 1km) à la "partègue" et gagnerait "temple" en traversant le marais bordant le "trou de marie". Soit en perspective une bien belle partie de "partègue".
L'oncle traversera avec un chargement réduit l'ensemble des marais, traversera la verne et se rendra par le trou de marie à quelques centaines de mètres de longue pointe au plus proche piquet limitant le DPM pour tenter de gagner à la course le droit d'occuper le poste pour la prochaine nuit.
A 15h00 le sort en est jeté : mon oncle a gagné la course et il m'attend au poste. Moi je lutte comme prévu contre vents et vagues tirant comme un galérien le combien précieux gabion de mon enfance.
Après une heure d'efforts, j'arrive enfin en sueur mais heureux...
Pour ceux qui ont suivi je n'ai toujours pas pris le moindre repos depuis le vendredi matin 7h00 heure à laquelle je me suis levé pour aller travailler...
Enfin la confiance est là, j'y crois pour cette nuit...
Le déballage commence : installation du gabion, camouflage du gabion, installations des "cimbels" (les appelants seront positionnés au dernier moment à la tombée de la nuit, les plus proches concurrents étant de part et d'autre à 150 mètres).
17h30 nous sommes prêts.
J'aperçois au loin une sarcelle. Elle nous fonce dessus...PAN, PAN, PAN, PAN....m..de juste piquée elle va se poser quelques 500 mètres plus loin à l'intérieur des marais.
J'y vais, je prends le chien (je ne vais jamais passer la nuit sans mon chien). Encore quelques efforts...elle se renvole PAN, elle y est.
Pur instant de bonheur. Je retourne au gabion. A mi chemin j'aperçois 6 siffleurs qui viennent aux formes. Mon oncle les siffle ; ils sont là à 15 mètres au dessus de sa tête ; ils tournent et retournent ; je suis couché au fonds du bateau ; les siffleurs sifflent comme des fous et semblent lui répondre ; l'instant est surréaliste, éternel ; il ne tire pas...il est accroupi derrière le gabion, et les fusils sont à l'intérieur du gabion trop loin pour être saisis !!!
Un dernier tour et puis s'en vont. Tant pis l'instant était magique.
Bientôt la nuit arrive, les appelants se déchaînent...3 points papillonnent au dessus des formes. C'est posé : 3 sarcelles. J'en ai 2 au coup de fusil (PS je tire sans lunettes compte tenu de la lune), mon oncle une...1, 2, 3 Pan une seule reste : la sienne. M..de. Enfin c'était quand même génial de voir ces 3 formes fondrent sur nous et se poser en un instant fugace dans un tonnerre de chants.
Je décide de fermer les yeux...à peine endormi et ... c'est de nouveau un tonnerre de récriages...6 milouins sont posés là à 15 mètres de nous.
Et là c'est le coup de fatigue, j'ai les yeux qui se ferment seul, je vois deux canons et aucun milouin dans la mire. Mon oncle me demande si je suis prêt ; je réponds oui mais je n'y vois rien...1, 2, 3, ... Pan... 3 oiseaux restent.
Je sors comme une balle pour aller les ramasser, j'en tiens 1 puis 2 mais le troisième plonge sous mon nez. Je le poursuis dans la nuit au milieu du vent et des vagues, seul dans la nuit. Mais la cause est désespérée et bientôt je dois renoncer. Je retourne déçu et navré dans le doux gabion protecteur.
Je suis mort de fatigue.
Mais les vents sont là, le gibier aussi...successivement vienne se poser 2 sarcelles (1/2 j'ai loupé), puis une, puis une autre, et encore une femelle de pilet (que j'ai dû tirer à plusieurs reprises...), puis 20 sarcelles d'hiver posées un peu loin et qui s'envoleront suite au tir d'une foulque par nos voisins, et enfin au matin deux souchets (1/2, j'ai encore loupé...)
Une nuit extraordinaire et mouvementée qui se soldent par 4 SH, 2 Milouins, un pilet et un souchet. Le vrai grand bonheur.
Mais il est déjà 9 heures, il est temps de partir...chemin inverse le coeur léger mais les paupières et les bras lourds...les vents ont tourné au matin et les vagues aussi.
11 heures nous voilà rendu à la voiture, chargée rapidement.
12 heures retour à la maison de l'oncle et de nouveau déchargement général et nettoyage du matériel. Enfin bientôt tout est en ordre.
Un dernier café et il est temps pour moi de rentrer : 3 heures de routes avec les paupières lourdes et de nombreuses pauses salvatrices.
Enfin 16 heures (la dernière pause a duré une heure...) je suis enfin chez moi et goûte à un repos bien mérité.
Voilà ma passion brute, folle et sublime, telle que j'aime la vivre et la conter.
Voilà ce qui fait battre mon coeur parfois à minuit, seul, incompris.
Voilà en une histoire toute ma vie de chasseur de nuit faite de mille illusions, d’espoirs souvent déçus mais pas toujours, d’efforts, de sueurs, de larmes, et de sangs mais aussi et surtout de bonheur partagé, d’amitié, de sentiments de plénitude et d’existence.
Et comme toutes les passions elle comporte son lot d'excès et de folies...
J'en veux pour preuve l'histoire suivante...qui en dira long, je crois, sur l'excès qui m'anime parfois quand de gibiers d’eau il s’agit.
A l'époque je vivais à 3 heures de routes de mon lieu de chasse favori : le grand étang de l'OR.
Aussi chasser le gibier d'eau en ces lieux lointains nécessitaient une logistique et une organisation méthodique, implacable, et fastidieuse.
Nous étions au mois d'octobre, le 17 sans doute, en l'an 2000.
La semaine avait été rude, la fatigue sournoise était là, mais le vent aussi...
Peu importe, le programme était établi comme il se doit :
Samedi matin : RDV 4 heures avec un collègue pour faire l'aube dans un excellent marais riverain de l'étang de l'OR.
Nuit de samedi à Dimanche : Etang de l'OR avec l'Oncle ; destination inconnue (sur l'étang de l'Or l'emplacement des postes est matérialisé par un piquet ; l'entrée sur l'étang se fait à une heure fixée ; les postes sont attribués par tirage au sort ou au premier arrivé ; chacun emmène son gabion et repart avec avant l'heure de sortie de l'étang fixée par le règlement.)
Mais revenons au vendredi soir….
Mince il est déjà minuit, plus qu'une heure avant le départ...impossible de fermer l'oeil...12h30 allez je n'y tiens plus je pars...je serais en avance...C'est sans compter sur le brouillard épais qui noie en une masse informe les paysages sublimes du piémont du massif central.
Je suis juste à l'heure pour l'entrée sur le marais (là aussi l'entrée se fait à une heure fixée, et les postes sont répartis dans l'ordre d'arrivée aux cabanes de chasse.
Nous héritons du poste le plus éloigné...le poste à Robert de la grande Verne : il faut traverser tout le marais, soit un bon kilomètre, les bateaux chargés des affaires de chasses (fusils, musettes, déjeuners,Etc..), des appelants, des plombs pour les appelants, des "cimbels" (blettes pour les nordistes ; une bonne 20ne), des paillons (panneaux de roseaux destinés à construire le poste), des piquets pour les paillons, et ce en se poussant sur une longue perche appelée localement "partegue".
Après 20 minutes d'efforts, nous voilà rendu enfin au poste.
Le collègue installe les canes et les "cimbels" ; je construis « l’agachon » (la cache)...
10 minutes après tout est prêt, la chasse peut commencer...l'attente aussi...et nos espoirs ne sont pas déçus.
Ce sont d'abord 5 sarcelles qui goûtent au plaisir et à la quiétude de notre calée, 2 sont prélevées.
Puis un siffleur et une foulque...mais il est déjà 10 heures...un dernier 1/4 d'heures d'espoirs et il est temps de rentrer. L'opération inverse s'amorce : on remballe, on range, on traverse le marais, on charge la voiture...11h30.
11h45 J'arrive chez mon oncle ; un petit café ; le temps de discuter de l'aube du matin, et il est déjà l’heure de se préparer à partir : préparer le gabion, y ranger les affaires de chasse, charger le gabion sur la remorque, charger les bateaux sur la même remorque, préparer les piquets, les filets de camouflages, les "cimbels", les plombs pour les canes...choisir les canes pour la nuit.
Une véritable expédition se prépare...et rien n’est laissé au hasard
13h00 il est grand temps de partir mais la grande question celle qui nous brûle les lèvres n'a toujours pas été tranchée : Où va t on ? Ou, plutôt, où va t-on essayé d'aller (l'étang est grand 3500 ha et les possibilités ne manquent pas même si les très bons postes sont très localisés).
Mon oncle opterait pour un coin tranquille, les vents sont nord...moi je n'en démord pas : il faut aller à "temple" ou "caisse de mort" à longue pointe le meilleur poste du secteur particulièrement convoité.
Un très très bon poste mais très éloigné, vraiment très éloigné, et sur l'étang seule la "partègue" est autorisée (moteur interdit), et par grand vent il y a de jolies vagues contre lesquelles il faut lutter pour avancer, pour traverser, pour se rendre aux endroits les plus propices.
L'oncle n'est pas chaud, le coups est incertain ; il faudra faire la course.
A coeur vaillant rien d'impossible.
Voici mon plan de bataille :
Je prendrais le canal (soit bien 3km), contournerait ainsi les marais et sortirait à la pointe de pyramide. De là je traverserais une partie de l'étang (presque 1km) à la "partègue" et gagnerait "temple" en traversant le marais bordant le "trou de marie". Soit en perspective une bien belle partie de "partègue".
L'oncle traversera avec un chargement réduit l'ensemble des marais, traversera la verne et se rendra par le trou de marie à quelques centaines de mètres de longue pointe au plus proche piquet limitant le DPM pour tenter de gagner à la course le droit d'occuper le poste pour la prochaine nuit.
A 15h00 le sort en est jeté : mon oncle a gagné la course et il m'attend au poste. Moi je lutte comme prévu contre vents et vagues tirant comme un galérien le combien précieux gabion de mon enfance.
Après une heure d'efforts, j'arrive enfin en sueur mais heureux...
Pour ceux qui ont suivi je n'ai toujours pas pris le moindre repos depuis le vendredi matin 7h00 heure à laquelle je me suis levé pour aller travailler...
Enfin la confiance est là, j'y crois pour cette nuit...
Le déballage commence : installation du gabion, camouflage du gabion, installations des "cimbels" (les appelants seront positionnés au dernier moment à la tombée de la nuit, les plus proches concurrents étant de part et d'autre à 150 mètres).
17h30 nous sommes prêts.
J'aperçois au loin une sarcelle. Elle nous fonce dessus...PAN, PAN, PAN, PAN....m..de juste piquée elle va se poser quelques 500 mètres plus loin à l'intérieur des marais.
J'y vais, je prends le chien (je ne vais jamais passer la nuit sans mon chien). Encore quelques efforts...elle se renvole PAN, elle y est.
Pur instant de bonheur. Je retourne au gabion. A mi chemin j'aperçois 6 siffleurs qui viennent aux formes. Mon oncle les siffle ; ils sont là à 15 mètres au dessus de sa tête ; ils tournent et retournent ; je suis couché au fonds du bateau ; les siffleurs sifflent comme des fous et semblent lui répondre ; l'instant est surréaliste, éternel ; il ne tire pas...il est accroupi derrière le gabion, et les fusils sont à l'intérieur du gabion trop loin pour être saisis !!!
Un dernier tour et puis s'en vont. Tant pis l'instant était magique.
Bientôt la nuit arrive, les appelants se déchaînent...3 points papillonnent au dessus des formes. C'est posé : 3 sarcelles. J'en ai 2 au coup de fusil (PS je tire sans lunettes compte tenu de la lune), mon oncle une...1, 2, 3 Pan une seule reste : la sienne. M..de. Enfin c'était quand même génial de voir ces 3 formes fondrent sur nous et se poser en un instant fugace dans un tonnerre de chants.
Je décide de fermer les yeux...à peine endormi et ... c'est de nouveau un tonnerre de récriages...6 milouins sont posés là à 15 mètres de nous.
Et là c'est le coup de fatigue, j'ai les yeux qui se ferment seul, je vois deux canons et aucun milouin dans la mire. Mon oncle me demande si je suis prêt ; je réponds oui mais je n'y vois rien...1, 2, 3, ... Pan... 3 oiseaux restent.
Je sors comme une balle pour aller les ramasser, j'en tiens 1 puis 2 mais le troisième plonge sous mon nez. Je le poursuis dans la nuit au milieu du vent et des vagues, seul dans la nuit. Mais la cause est désespérée et bientôt je dois renoncer. Je retourne déçu et navré dans le doux gabion protecteur.
Je suis mort de fatigue.
Mais les vents sont là, le gibier aussi...successivement vienne se poser 2 sarcelles (1/2 j'ai loupé), puis une, puis une autre, et encore une femelle de pilet (que j'ai dû tirer à plusieurs reprises...), puis 20 sarcelles d'hiver posées un peu loin et qui s'envoleront suite au tir d'une foulque par nos voisins, et enfin au matin deux souchets (1/2, j'ai encore loupé...)
Une nuit extraordinaire et mouvementée qui se soldent par 4 SH, 2 Milouins, un pilet et un souchet. Le vrai grand bonheur.
Mais il est déjà 9 heures, il est temps de partir...chemin inverse le coeur léger mais les paupières et les bras lourds...les vents ont tourné au matin et les vagues aussi.
11 heures nous voilà rendu à la voiture, chargée rapidement.
12 heures retour à la maison de l'oncle et de nouveau déchargement général et nettoyage du matériel. Enfin bientôt tout est en ordre.
Un dernier café et il est temps pour moi de rentrer : 3 heures de routes avec les paupières lourdes et de nombreuses pauses salvatrices.
Enfin 16 heures (la dernière pause a duré une heure...) je suis enfin chez moi et goûte à un repos bien mérité.
Voilà ma passion brute, folle et sublime, telle que j'aime la vivre et la conter.
Voilà ce qui fait battre mon coeur parfois à minuit, seul, incompris.
Voilà en une histoire toute ma vie de chasseur de nuit faite de mille illusions, d’espoirs souvent déçus mais pas toujours, d’efforts, de sueurs, de larmes, et de sangs mais aussi et surtout de bonheur partagé, d’amitié, de sentiments de plénitude et d’existence.