Fiscalité-Juridique
Estimation des huttes et des étangs de chasse en Picardie
La chasse au gibier d’eau ne concerneque la bordure maritime et les zones humides intérieures. Depuis la loi VOYNET,les huttes de chasse sont enregistrées et immatriculées dans tous lesdépartements où la chasse de nuit est autorisée. Sur ce territoire restreint,le nombre d’installations s’est vu figé, entraînant une augmentation du prix decette activité de loisirs.
Un loisir cynégétiquede plus en plus inaccessible
La France se situe au centre des voiesde migrations européennes entre l’Asie et l’Afrique. Avec plus de 4 000 km decôtes, un réseau fluvial important, de nombreux marais, étangs et plans d’eaudivers, notre territoire offre toute une mosaïque de réserves pour le gibierd’eau qui niche et s’installe de plus en plus dans nos régions.
Cette particularité a entraîné un modede chasse spécifique au gibier d’eau qui autorise le tir de nuit depuis deshuttes de chasse installées en bord de mare ou de marais.
Ce type de chasse a connu un essor trèsimportant depuis la seconde guerre mondiale. À la fin des années 80, oncomptait 1 834 huttes dans le seul département de la Somme, ce qui représentait20 % du nombre total des huttes en France. Il y en a aujourd’hui 2 234 selon lafédération des chasseurs et 2 138 selon les services de la DDTM.(1)
Depuis le 26 juillet 2000 (Loi VOYNET),les huttes de chasse sont enregistrées et immatriculées dans tous lesdépartements où la chasse de nuit est autorisée (Art. L.424-5 du Code del’environnement). Depuis cette date, le nombre d’installations est figé entraînantune augmentation du prix des huttes de chasse. Une hutte non immatriculée n’estpas interdite mais le tir de nuit y est impossible.
Type de territoires
En France, nous devons distinguer troistypes d’habitat : le domaine public maritime (DPM), le domaine public fluvial(DPF) et le domaine terrestre (les étangs et marais de l’intérieur).
a) Le domaine public maritime
Le domaine public maritime recouvre lazone littorale comprise entre les limites des plus basses et des plus hautesmarées (coefficient 120) ainsi que certains étangs saumâtres en communicationavec la mer. Comme son nom l’indique, le DPM appartient à l’État. Les lots dechasses sont loués par l’administration uniquement à des associations dechasseurs régies par des statuts types. Ces huttes et marais ne sont pas àvendre.
b) Des limites évolutives
Le 7 juin 2011, le directeur de laDDTM(2) de la Somme adresse un courrier à une vingtaine de propriétaires leurannonçant qu’à la suite “d’un constat de la limite atteinte par la mer lors dela marée d’équinoxe” du 21 mars 2011, les terrains situés en baie de Sommeappartiennent au domaine public maritime, donc à l’État, et ceci malgré leurtitre de propriété et le fait qu’ils ont toujours payé les taxes foncières. Eneffet, il suffit qu’un terrain soit baigné par la mer lors des grandes maréespour qu’il soit considéré comme faisant partie du domaine public maritime.
Il existe deux exceptions au principed’imprescriptibilité et d’inaliénation du domaine public maritime : les droitset concessions accordées avant l’Édit de Moulins 1566 et les ventes légalementconsommées des biens nationaux (biens saisis aux aristocrates et au clergépendant la révolution française).
Ces terrains ont été vendus le 28 vendémiaire an IV, soit le 20 octobre1795, par l’État à des bourgeois d’Abbeville. Ils appartenaient auparavant aucomte d’Artois, frère de Louis XVI, futur Charles X. Par ailleurs, il a étéretrouvé des concessions accordées à des laboureurs avant 1520, donc avantl’édit de Moulins. La justice doit trancher pour savoir si l’on entre dans lecadre de ces exceptions.
c) Le domaine public fluvial
Le domaine public fluvial est constituédes canaux, rivières et fleuves navigables. Les lots de chasse sont plussouvent attribués par adjudication, que par location à l’amiable, au profit del’État. Comme pour le domaine public maritime, les adjudicataires doivent sesoumettre aux obligations d’un cahier des charges.
d) Le domaine terrestre ou les étangs etles marais de l’intérieur
Il s’agit de zones humides, propriétésprivées ou communales qui se composent de rivières non navigables, marécages,étendues d’eau artificielles ou naturelles et terrains temporairement inondés,supportant ou non une hutte.
Depuis qu’il n’est plus possibled’immatriculer de nouvelles huttes, leur nombre dans le département de la Sommeest figé à 2 234. Toutefois, il est possible, sous certaines conditions, dedéplacer un poste fixe.
De ce blocage résulte une augmentationconstante des valeurs locatives et des valeurs vénales des huttes de chasseimmatriculées. La valeur des étangs et des marais suit cette tendance.
La suite de notre étude ne concerneraque les huttes et les étangs de l’intérieur en Picardie.
e) Valeur locative deshuttes de chasse
En général, une hutte se loue une nuitpar semaine pendant toute la durée de la saison. On parle alors de tour dehutte. Il peut donc y avoir jusqu’à sept locataires par hutte pour une année.
Néanmoins, certaines huttes peuvent selouer pour une seule nuit.
La valeur locative d’une hutte dechasse, c’est-à-dire la hutte et son étang, s’apprécie en fonction de sonpotentiel annuel de prélèvements d’anatidés (les becs plats, dont les canards).L’article L.424–5 déjà cité oblige la tenue d’un carnet de prélèvements pourchaque poste fixe immatriculé. Nous pouvons retenir la valeur de 30 à 40 € parcanard pour déterminer la valeur locative annuelle.
Exemple :
Une hutte qui permet le prélèvement de 500 canards par an (très bonnehutte) peut se négocier avec un loyer annuel de (500 × 30) 15 000 €, soit 2 143€par tour de hutte si l’ensemble des nuits de la semaine sont louées. Si lahutte dispose d’un marais, très demandé par les amateurs de la chasse à labécassine, il faut rajouter à la somme précédente le montant de la location dumarais.
Elle est en moyenne de 100 €par hectare, par an, par tour de hutte (unenuit par semaine). Il en est de même pour les marais loués sans hutte.
f) Valeur vénale deshuttes de chasse et des marais
Une hutte est constituée d’un abri, plusou moins important, édifié sur le bord d’une mare ou d’un étang dont la surfacepeut également varier de quelques dizaines de mètres carrés jusqu’à plusieurshectares. Plusieurs huttes peuvent être édifiées autour d’un même étang.
La valeur d’une hutte est l’addition dela valeur du bâti, de la valeur du terrain (terres, marais et étang) et lavaleur de l’immatriculation.
La méthodologie d’évaluation des hutteset de leur terrain ne pose pas de problème particulier. La méthode parcomparaison est tout à fait adaptée. Il existe des notaires et des agencesimmobilières spécialisées dans la vente de ce type de bien. La méthode par solet construction est adaptée à la valorisation du bâti. Attention toutefois àcertaines particularités comme les huttes flottantes.
Il est important de vérifier lepotentiel cynégétique de la hutte (possibilités de tir, présence d’arbresautour de l’étang, accès, sensibilité au gel de la surface de l’étendue d’eau).
En 2014, dans le département de laSomme, la valeur des étangs et marais se négocie aux alentours de15 000 € par hectare.
Il convient de rajouter à la valeurreprise ci-dessus la valeur de son immatriculation qui autorise le tir de nuit.En effet depuis la loi VOYNET, il n’est plus possible de créer de nouvelles huttesde chasse autorisant le tir de nuit. Cette immatriculation se valorise à unprix en constante augmentation depuis. Aujourd’hui compris dans une fourchettede 50 000 € à 150 000 € en fonction de son potentielcynégétique, elle était comprise entre 30 000 € et100 000 € en 2010.
Il est cependant impératif de vérifierl’existence de cette immatriculation auprès des services de la DDTM. Il existeen effet de fausses plaques.
Le prix d’une hutte est donc fonction deson intérêt cynégétique. Il est important de noter, cependant, que la valeurcynégétique d’une hutte peut évoluer à la hausse ou à la baisse dans le temps.Ainsi, une hutte renommée située près de Corbie dans la Somme révélait desprélèvements de plus de 600 oiseaux par an. Depuis quelques décennies, enraison des nombreuses peupleraies plantées dans les marais alentours, lesoiseaux migrateurs ont dévié leur trajectoire et ne survolent plus cette hutte.Aujourd’hui, le carnet de prélèvement révèle la prise de 120 oiseaux par an.
La valeur d’une hutte ne semble pasimpactée lorsque le terrain est classé en zone Natura 2000, ZPS (zone deprotection spéciale), ZICO (zone à importante pour la conservation desoiseaux), ZNIEFF (zone naturelle d’intérêt écologique, faunistiques etfloristique).
La rareté de ce type de bien etl’augmentation de sa valeur a fait apparaitre un nouveau mode de transmission.En effet, le propriétaire d’une hutte souhaite conserver son bien et letransmettre à ses descendants. Cependant, la gestion et l’entretien d’un marais(rendu obligatoire par l’article L.424-5 du Code de l’environnement) sontcontraignants et onéreux.
La création de SCI permet de vendre desparts et de devenir propriétaire d’une nuit par semaine, c’est-à-dire d’un tourde hutte.
En 2013, une part de SCI correspondant àune nuit par semaine d’une hutte avec un marais de 10 hectares située sur lacommune de Cléry-sur-Somme s’est négociée à 66 000 €.
La valorisation des huttes au niveaunational peut s’effectuer de la même façon. À titre indicatif, il fautappliquer un coefficient correcteur en fonction de la région.
- Picardie Somme : coefficient 1
- Flandre Maritime : coefficient 1,2
- Normandie Caen : coefficient 0,8
- Charente-Maritime : coefficient 0,8
- Gironde Aquitaine : coefficient 0,9
g) Le déplacement deshuttes de chasse
Si la création de toute nouvelle hutteautorisant le tir de nuit est interdite depuis la loi du 26 juillet 2000, unedisposition du Code de l’environnement, l’article R.424-19, autorise ledéplacement d’un poste fixe de chasse de nuit à condition qu’il n’y ait pasd’impact négatif sur la faune et la flore.
Cette autorisation relève de lacompétence du préfet. Il semble aujourd’hui que l’interprétation des conditionssoit plus ou moins restrictive selon les départements.
(1,2) Direction Départementale desTerritoires et de la Mer.
Source : le mag Experts Fonciers - Mars2015 – Christian de MONCLIN, Expert Foncier (80)